mercredi 16 mars 2016

Le Monde des contrées, Les 400 coups & Eric Darsan

Demain 17 mars sort Le Monde Des Contrées, introduction à l'univers des Contrées par vingt artistes et un critique littéraire, une présentation générale du cycle des Contrées dont j'avais abordé les premiers volets avec vous ici même pour la première fois il y a un an déjà et que j'ai eu le plaisir de réaliser depuis avec le collectif Les 400 Coups et les éditions Le Tripode.


Pour une fois je laisse la parole à d'autres, en espérant que le livre vous plaira et surtout, comme je le disais , qu'« il étendra à travers vous le lectorat de l'auteur et de son éditeur parce que c'est un peu l'idée avant et après tout. »

1— Présentation de l'éditeur : 

« Le 17 mars, tout le cycle sera réuni au Tripode, avec l’édition ou la réédition de 4 opus. À cette occasion, les éditions Le Tripode éditent un petit beau livre qui a autant valeur de point route pour les aficionados que d’introduction pour les curieux novices : Le monde des contrées.

Anna Boulanger, Le domaine abandonné

Au milieu des années 70, à la manière d’un rêve, Jacques Abeille s’engageait dans l’exploration d’un monde imaginaire en écrivant un roman : Les Jardins statuaires. Depuis, de livre en livre, s’élabore l’univers extraordinaire des Contrées, avec ses règles et ses fantasmagories. Que ces vingt artistes-sérigraphes soient ici nommés : Anna Boulanger, Loïc Creff, Sylvain Descazot, Marie Drancourt, Julien Duporté, Anthony Folliard, Julie Giraud, Sophie Glade, Eléonore Hérissé, Audrey Jamme, Matthieu Lautrédoux, Brutt, Julien Lemière, Eric Maher, François Marcziniack, Lilian Porchon, Estelle Ribeyre, Antoine Ronco, Olivia Sautreuil et Nicolas Thiebault.

Concomitamment à ces parutions se tiendront un nouveau colloque à la Bnf, une grande soirée de lecture à la Maison de la poésie et une exposition au Point Ephémère. »

Lillian Porchon, Le Prince
2— Quelques extraits :

Je vis de grands champs d’hiver couverts d’oiseaux morts.
Leurs ailes raidies traçaient à l’infini d’indéchiffrables sillons. Ce fut la nuit.
J’étais entré dans la province des jardins statuaires.

« Lorsque l’on aborde Les Jardins statuaires, on est saisi d’entrée par une sensation de dépaysement, l’étrangeté des détails, la profusion et la richesse de leurs descriptions minutieuses, la progression labyrinthique du récit, son aspect fantastique, emphatique et poétique (…) roman d’initiation, roman d’aventures qui flirte avec la fantasy, roman classique dont la beauté et la pureté relèvent de l’épure comme de l’architecture, Les Jardins statuaires est le fruit d’un impressionnant travail de pensée, de recherche, de rêverie et d’écriture. Porte d’entrée du cycle des contrées, le roman soutient par son pouvoir d’attraction le déploiement d’une œuvre monumentale. »

Le Prince, illustration par Lilian Porchon

« Le cycle des contrées est indissociable de la géographie de ses territoires, qui lui donne une consistance concrète et saisissable. Nous pouvons en mesurer l’étendue, bien que l’action du Veilleur du Jour se situe essentiellement à Terrèbre. Bordé à l’ouest par l’océan sans fin, à l’est par le Fleuve mort, au nord et au sud par deux déserts, ce monde ne paraît offrir que de sinistres perspectives. Mais le roman recèle une multitude de toponymes empreints de légendes rapportées à la capitale par des exilés tels que Barthélémy, et qui promettent maintes péripéties au lecteur et voyageur qui quitteront Terrèbre pour s’aventurer dans le reste des contrées… »

« À travers les barbares et tous les exilés de ce roman, Jacques abeille interroge de façon intemporelle les tensions entre culture et civilisation, individus et sociétés. »

Le refuge du prince, illustration par Anna Boulanger

« Suite naturelle au roman Les Barbares, La Barbarie expose une civilisation très différente, qui méprise les mots et ne connaît que l’oppression. Cette dernière s’exerce à tous les niveaux, sur le corps humain comme sur le corps social, sur l’espace privé comme sur l’espace public. Elle dicte les normes qui s’appliquent aux bâtiments comme aux comportements. Au besoin, elle utilise la censure ou la répression, recourt à tout un arsenal de médecins et psychiatres, de médicaments et drogues, de discours spécieux. Ceux qui se retrouvent soumis à ce long processus de déshumanisation, privés de leur libre arbitre et niés dans leur existence propre, deviennent l’instrument du pouvoir. »

Le domaine du faiseur de nuages, illustration Mathieu Latrédoux

« Périple mirifique illustré des dessins de François schuiten, hymne à la liberté, Les Mers perdues invite à la contemplation et au songe.. Les longues et belles descriptions des ruines introduisent une méditation sur les civilisations disparues et révèlent finalement les origines des contrées. »


Le Monde des contrées, Essai illustré 64 pages, Prix: 7,00 €Pour le découvrir en 3D, cliquez ici
Vous pouvez retrouver d'autres photographies illustrant le travail de sérigraphie sur la page Facebook des 400 Coups de L'Atelier du bourg, et le corps du texte, présentation et analyse, sur ma page et sur Pinterest. Pour le reste, rendez-vous au Salon du livre et en librairie !

mercredi 9 mars 2016

Exercice(s) de style(s) : Frictions et Tombeau

Echo(s) à mon article consacré à la Rentrée littéraire de septembre intitulé Dernier inventaire avant liquidation, ces Exercice(s) de style(s) sont aujourd'hui l'occasion de vous présenter Frictions de Pablo Martín Sánchez traduit par Jean-Marie Saint-Lu et Tombeau de Pamela Sauvage de Fanny Chiarello, deux ouvrages sur(-)prenants et formellement (d)éton(n)ant, qui jouent et se jouent de la contrainte, sortis à la Contre Allée le 23 février. Et de poursuivre quelques réflexions sur les rapports entre actualité, écrit et édition initiées ici et ailleurs au fil du temps.


Exercice(s) de style(s)

D'une rentrée l'autre, boucle serpentine, Ourobouros ou ondine, ainsi s'achève, après celle de septembre, la rentrée de janvier. Trois mois : c'est le temps qui, entre et depuis, s'est écoulé, celui que l'on donne à un livre pour faire l'actualité, se vendre et rentrer, ou non, dans ses fonds. Trois semaines : c'est la durée qu'un ouvrage reste sur table en moyenne, celle d'un film à l'affiche, à peine. Trois jours : c'est le temps qu'il me faut généralement pour lire un livre et me décider à rédiger une chronique ici même, ou non (c'est idem), et à m'y appliquer parfois (ibidem). Suite à quoi, de temps à autre, j'apprends que ce que l'on fait se répercute sur les avis et les ventes, que ce soit (hier) en tant que libraire, (aujourd'hui) en tant que chroniqueur, ou (demain) en tant qu'auteur, ceci me permettant de revenir en passant sur les vertus et aléas de l'édition, indépendante ou non.
   
Hier. L'expérience m'a appris qu'il faut, pour qu'un ouvrage devienne un ouvrage de fonds (dans le désordre) : du temps, de la qualité, de la quantité. Et par conséquent (dans l'ordre, croissant si possible) : qu'à la suite de l'auteur, à la fois intéressé et désintéressé en aval comme en amont, que des éditeurs, des prescripteurs et d'autres lecteurs s'intéressent plus qu'à leur tour généreusement (humainement, intellectuellement et financièrement) à lui. C'est toujours le cas aujourd'hui.

Aujourd'hui. J'apprends au passage de Quidam que Pas Liev de Philippe Annocque ne se vend (Pas) comme il le devrait et c'est dommage car c'est un ouvrage qui renouvelle la (Pas) langue (la palangue - celle qui élève - et l'appât-langue, celle qui attire), tire la couverture à l'autre et demeure cher à l'éditeur qui le conte et à son auteur qui, sans avoir la chevillette qui gonfle, se creusent la bobinette et tout ça pour dire qu'à défaut d'en rapporter pour l'heure Pas Liev casse vraiment des briques (pour vous faire une idée allez voir là). Ce qui se sera toujours le cas demain.


Demain. Le 17 mars sort au Tripode Le Monde des Contrées que votre serviteur a sur commande tenté d'honorer en compagnie des 400 Coups de L'Atelier du bourg à l'occasion de la sortie événement de l'intégrale du cycle de Jacques Abeille que ce joli ouvrage illustré présente, analyse un peu et introduit surtout, en espérant qu'il vous plaira et surtout qu'il étendra à travers vous le lectorat de l'auteur et de son éditeur parce que c'est un peu l'idée avant et après tout. 

D'une rentrée l'autre disais-je, à peine le temps et la durée de faire, de boucler et de dire - vanitas vanitatum, omnia vanitas alea jacta es et tout ça – tout ça donc, et voilà que d'autres écrits, d'autres lectures, se profilent déjà. Aussi et malgré tout, en lieu et place d'une rétrospective qui ferait mentir mon Dernier inventaire avant liquidation, et histoire de ne pas non plus me répéter, je vous propose aujourd'hui une double chronique pour une double sortie à la Contre Allée sous le double signe de la nouvelle et de l'exercice de style mais aussi de la virtuosité et de l'absurde, de la diversité et de l'unité, de la profusion et de la lalomanie. Angles qui, une fois traduits, ne sont pas étrangers à ce blog, exercice de style qui évolue au fil et au gré des lectures et de lui-même (voilà pour la boucle, l'Orobouros, etc.) sic transit gloria mundi amen.

Frictions, Pablo Martín Sánchez



« (…) prologue, pour tenter de convaincre ses possibles lecteurs qu'il était bien élevé et que tout ce qu'il leur présentait en deux cent cinquante pages, aussi divers que cela parût, traitait en fait d'un seul thème (...) » (Augusto Monterroso, La Lettre e).

Inter et hypertextualité, sérendipité, inspiration, cohérence de la forme et du fond, une bonne dose d'humour et d'à-propos : tels sont les ingrédients et qualités qui caractérisent Pablo Martín Sánchez et son Frictions qui « En guise de prologue » pille un auteur guatémaltèque connu pour son autodérision et ses expérimentations littéraires, enlève Perec (la lettre e toujours) et dérobe à Borges son titre (de noblesse) le plus connu pour dédicacer à A. (ah ha) ce livre gage, cage, dont les aréopages, références lues, tues, sues, indiquées, revendiquées et détour(n)ées pullulent, pillées, pliées à la manière d'un avion en papier qui se chiffonnerait dans la perspective d'une chute.    

« Finalement, tentant de trouver une explication, je monte sur le capot d'une voiture et, levant les bras au ciel, je m'écrie : « On peut savoir ce qui se passe, putain ? » »   

Rythme, second degré, Deus ex-machina, collisions, collusions, contusions, poussières et fragments qui se détachent, heurs et heurts, bonheur souvent, malheurs parfois, ré(d)action(s) d'enfants (« est-ce qu'ils n'avaient pas entendu parler du droit à l'autodétermination »), enchaînements bien pensés, déchaînements bien sentis (« “Va te faire foutre”, ai-je pensé en refermant la fenêtre. “A cause de ce que tu as fait à mon oncle Alberto” »), décalage, interrogations, étrangeté, citations (Borges éminemment), miroirs (évidemment), variations, fulgurances et poésie aussi.

« Un grand X domine maintenant le miroir.
A l'intersection de ses branches, apparaissent nettement tes sourcils froncés.
On dirait le point de mire d'un avenir incertain à canon scié ».


Grâce à l'excellente traduction de Jean-Marie Saint-Lu inutile d'être polyglotte, de savoir rouler les R comme il faut pour lire dans le texte le Fricciones de Pablo Martín Sánchez : avec Frictions ce sont désormais les R qui nous roulent via ce texte pointu et classique (« elle m'a demandé si je savais ce qu'est un point et si je ne pouvais pas écrire sans dire de gros mots, et je lui ai dit que non seulement je savais ce qu'est un foutu point mais qu'en plus mon texte était plein de points, surtout sur les i ») mais écrit sans demi-mesure tout en restant dans les clous (« cette fois je mettrais plus de points, putain »).

Mystère extrait de la nouvelle Métamorphose,
à découvrir sur la page dédiée de la Contre Allée.

Intertextualité, vidéo, rêves et vers éveillés, prose versatile déversée, procédés variés, parfois visibles et prévisibles mais toujours sensibles, sourires et rires, boucles et correspondances anonymes, bras et pans qui tombent, justes et droits, chute encore, des corps et des cœurs avec l'extraordinaire « Tragi-comédie de Mefito et Tentorea » (« Protase », « Epitase » et « Catastase »), synchronicité, désynchronisation et anachronismes : telles sont encore les multiples facettes de ce « plagiat par anticipation », lui-même variation sur l'œuvre borgésienne.    

« 
La littérature vie est un métier dangereux. » 
 (Pablo Martín Sánchez) 
 (Roberto Bolaño)

Livres, citations et situations imaginaires, détournements, focalisations, évocations et comparaisons surréalistes, extra et infra-ordinaires qui font pousser des L au K de Dino Buzzati, rappellent Glose de Juan José Saer, les Fictions et l'ombre de Jorge Luis Borges toujours et par-dessus tout. Penser/Classer. Et reconnaître donc. Je me souviens de cette lettre. Du e de Perec qui aurait eu pile quatre-vingts ans aujourd'hui, de sa Disparition puis de son retour, avec Les Revenentes citées finalement et du Voyage d'hiver suggéré, évidemment. De La Vie mode d'emploi et de l'Oulipo, qui ont fait entrer Pablo Martín Sánchez en littérature et lui permettent d'extirper de derrière les fagots tout cet fagots cet encombrant attirail pour mieux saisir, sous le couvert de cet inventaire et magasin d'écriture, la mesure et la température des possibilités offertes et permises à ce jour par la littérature.
     
« Il doit être clair qu'il ne s'agit que d'un exercice poétique (nous pourrions presque parler de jeu) réalisé en vingt ou trente minutes à peine, et partant sans prétendre à la qualité littéraire. Je prie donc de ne pas le juger selon les paramètres critiques habituels, et de ne pas perdre de vue les caractéristiques propres à l'expérience ni les circonstances concrètes de son exécution : qu'on le prenne plutôt comme une eutrapélie ou comme une morsure de temps volé à l'oubli. »   

C'est sur ces mots, enfin, en passant, qu'à travers son narrateur l'auteur présente la « poésie métrique » (« tout simplement, celle qui s'écrit dans le métro. »), antépénultième nouvelle avant l'« accident » et l'« entropie » qui la suivent, vingt-cinquième heurt de ce recueil qui en compte vingt-sept réparties respectivement en 3 parties intitulées « Frôlements », « Caresses » et « Etreintes » comprenant selon les mêmes termes 12, 9 et 6 récits. Des mots et une architecture qui définissent parfaitement le(s) exercice(s) exécutés pour et par Frictions. Une définition vite contredite dans le même temps par la souplesse et la virtuosité de l'ouvrage.ouvrage dans lequel l'auteur n'hésite pas à révéler par maints biais les procédés auquel il recourt. Des procédés qui plongent habilement le lecteur avisé dans une mise en abyme sans fonds ni fin sur la création littéraire. Une réflexion que l'on aimerait poursuivre avec moins de précautions à l'occasion d'El Aleph engordado, de Pablo Katchadjian auquel, à défaut et en attendant, l'on redemandera Quoi Faire et Merci.   

Tombeau de Pamela Sauvage, Fanny Chiarello


« Ne sommes-nous pas une note de bas de page -3 
pour la plupart de ceux qui nous entourent ?-3 Ceci est une note de bas de page. »

Exercice de style à cheval entre la performance, l'essai, le recueil de nouvelles et le roman, par d'habiles entrechats entre deux époques hostiles, Fanny Chiarello, sur le principe du tombeau, enterre notre époque moribonde et dessine le suaire qui entoure déjà celle à venir à travers 23 portraits largement commentés. Un exercice périlleux, ardu, mais salutaire, qui exige de lire entre les lignes et dont l'auteure ne semble pas vouloir réchapper avant d'avoir laissé impitoyablement le lecteur pour mort, sur le carreau, ou pour le moins, d'avoir interrogé ses capacités d'adaptation et de survie.

« humour 120
120
Obscur. Apparemment une référence à un type de fluide corporel »

Tranches de vie contemporaines empreintes de drôleries, ces nouvelles légères et cavalières pétries de second degré sont ainsi, dès l'ouverture, dévorées par des notes de bas de page qui constituent en vérité l'essentiel de l'ouvrage et étonnent, amusent ou effraient par leur absence de recul et leur naïveté, leur esprit de sérieux et leur premier degré. D'un côté les portraits - qui correspondent entre eux à la manière des notes dans les notes - composent un inventaire de notre civilisation déchue, entre consumérisme, vénalité, vanité, vacuité, racisme et salariat. De l'autre les notes – marquées par les préjugés, les malentendus, l'ignorance de nos us et coutumes - composent un monde totalitaire régi entre autres choses par la censure, l'intolérance et la promiscuité, l'économie, la finance et l'industrie, la médecine, le patriarcat et le fascisme, en un mot : dystopique. 


Des uns aux autres, nous constatons combien le monde de demain est évidemment le prolongement direct et radical de celui d'aujourd'hui, et tout particulièrement des faits et orientations qui marquent chaque jour un peu plus notre actualité. Un monde unifié au sein duquel les groupuscules pseudo-moraux d'extrême droite se sont radicalisés et décomplexés ; « La Vague Sanitaire initiée par les groupes armés Valeurs Familiales et Combattant de la Loi »  a établi l'ordre nouveau ; les « Grands Patrons » se sont unis ; l'eugénisme est pratiqué ; le Sixième Continent poubelle est naturellement reconnu comme tel ; les chômeurs et les sans-abri sont majoritaires. Un monde où n'existent plus ni la superstition ni la publicité, mais où règnent le monopole, l'autorité et l'idéologie qui imprègnent la langue comme le propos de ces notes elles-mêmes.

« “ intellectuels” 121 
121 Leur rôle reste nébuleux. »

Avec ce Tombeau de Pamela Sauvage, Fanny Chiarello propose une double lecture peu aisée mais - que l'on peut à mon sens pratiquer successivement ou alternativement - riche dans la forme comme dans le fond, avec ses phrases aux ponctuations aléatoires, sans point final aucun, en ce qui concerne le corps du texte du moins (restitué par l(es)'auteur(e)(s) des notes). Un procédé et une narration qui rappellent tout à la fois Féérie générale d'Emmanuelle Pireyre et Europeana de Patrick Ourednik. Des récits dont émergent un Jean-Christophe que l'ont croirait exsudé d'un album de Trondheim ou une Olive, vivante (d)énonciation de la condition féminine dans nos sociétés. « Femme qui aborde la quarantaine avec une colère intacte, un goût particulier pour les musiques expérimentales et un besoin impérieux de se tenir en retrait du jeu social », Fanny Chiarello propose une rubrique-à-brac nécrologique et philologique aussi littéraire qu'engagée à l'image de La Contre Allée. 

Frictions et Tombeau en colophons
Frictions et Tombeau

Arrive un moment où l'on ne peut plus continuer d'écrire comme on le faisait, « au paravent » comme dirait Nizan. Où l'on ne peut penser, dire, faire comme si de rien n'était. Un moment où l'on s'aperçoit que ce n'est plus le cas sans savoir depuis quand, ni comment ni pourquoi ni ce qui ni ce que cela change. Où l'actualité, la sienne propre et l'autre moins, se heurtent, s'entrechoquent. Où la Nausée reparaît. Où tout paraît un peu fragile et un peu vain. Où l'espoir rejoint la désespérance, et l'enthousiasme l'impuissance qui l'atteint. Où, dans le même temps, l'on a commencé humblement mais sûrement, le plus souvent malgré soi, à incarner quelque chose ou quelqu'un mais sans trop savoir ni ce que cela peut être ni ce que cela devient.  

Un entre-deux qui joue en faveur non de ce qui a été fait mais de ce qui reste à faire. Un état d'ouverture où l'on commence à se heurter contre les murs. Un point de non-retour, dans le fond pas différent des précédents, mais qui commence à dessiner quelque chose dans la forme. Une forme désormais trop étroite, trop elle-même, trop formelle pour ne pas l'être. Une substance qui tend à vouloir tout être ou n'être rien plutôt qu'à demi. A ap, à trans, à dis-paraître. A ne pas se limiter. A s'élargir, à agir, à prendre le large plutôt qu'à s'assagir. Malgré tout et malgré soi. Pour dire les choses, les dédire, les prédire, les traduire, les induire et les faire. Et ce quelque soit la forme - l'exercice de style ou le style d'exercice - que cela puisse prendre.    


Trois mois, c'est le temps qui s'est écoulé depuis l'instauration de l'état d'urgence en France, le revirement vers la droite extrême du parti socialiste vers le national et le front, la transformation de la jungle de Calais en camp de concentration, le même modèle, la même réaction, de l'Allemagne à la Grèce. Trois mois, c'est la durée nécessaire, parfois, pour respectivement et tour à tour rédiger et faire paraître un ouvrage comme Le Monde des Contrées, s'en et s'y remettre ; pour mettre sur l'écran au travers de six chroniques le volume d'un tiers livre consacrés à de merveilleuses découvertes ; pour reprendre l'écriture de deux autres ; pour partir quelques jours à la mer ; pour rêver d'ailleurs et construire ici, craignant que l'inverse se réalise et attendant que l'averse passe.

Trois mois c'est la durée qui suffit parfois pour tenter, entre autres choses, de participer (en vain, vanitas et tout ça) à un débat sur la représentativité en dépit d'élus locaux et malgré celle des engagés Message, Larnaudie et Bertina (Des Lions comme des danseuses, La Contre Allée) ; pour se faire gazer (gratis) deux jours après par les CRS et échapper in extremis en se réfugiant dans le café d'un centre culturel (deo gratias) au matraquage des barbares de la BAC qui nous avaient isolés lors d'un carnaval de soutien pacifique à la ZAD ; pour écrire pour dénoncer pour renoncer à publier autour de ces événements parce que ce n'est ni le lieu ni l'endroit même quand tout va de travers ; pour lancer la nouvelle saison de l'Epicerie Coopérative dont nous faisons partie ; pour semer ces Petites Salades dont Lou vous parlait ici ; pour participer à une excellente conférence sur l'afro-féminisme et sa portée, concrète et globale, en présence de Raphaëlle des Peaux-Cibles et d'Isabelle Cambourakis, éditrice de la collection Sorcières dont Lou vous reparlera bientôt.   


La semaine prochaine se déroule à Paris la mouture dernier cri du Salon du livre sobrement ou non dénommé pour l'occasion Livre Paris, au-delà du pire accouché sous XO et Cie vous y retrouverez les meilleurs éditeurs indépendants qui soient dont je vous parlais encore, au cours et à la fin de mon Dernier inventaire et que vous pouvez retrouver régulièrement sur ce blog. Ici et maintenant se déroulera le 15 mars à Paris une réunion à l'initiative de L'Atelier du Plateau et de Ballast (« Nous voudrions penser les façons de jeter, entre nous, des ponts — penser et expérimenter »). Et puis il y a encore la Jungle, et puis il y a encore Calais, j'apprenais même hier encore qu'il y a toujours Longo Mai.    

Chaque jour, un peu partout, des choses s'organisent naturellement et culturellement pour résister à la dérive autoritaire. Si vous m'avez rejoint et / ou suivi jusqu'ici et maintenant, c'est peut-être que vous avez/pouvez trouver votre part/place quelque part là-dedans, de quelque façon que ce soit. Si tel est le cas, mon rôle de passeur est, de quelque façon que ce soit aussi, concernant ce post du moins, accompli. Vivez, lisez, cultivez votre jardin, pensez par vous-même (et autres mèmes), soyez et n'attendez pas qu'on vous le dise (idem), et partagez tout ça, urbi et orbi et Tlön Uqbar Orbis Tertius et à la prochaine.